Solfège, pourquoi tant de haine ?

Si le solfège souffre de préjugés tenaces (ou d’expériences fâcheuses), il est important de rappeler que —> la chose est souvent moins le problème que la façon de l’aborder.

Un peu d’histoire :

Selon les cas, le « solfège » n’est pas indispensable, notamment si l’on aborde le répertoire des musiques populaires qui, selon la coutume, sont dites de « tradition orale ». Ceci étant, aujourd’hui, beaucoup de ces musiques sont écrites et il faut également “savoir lire” pour y avoir accès (…à moins d’être réellement dans la « tradition ».)

Il est intéressant de relever que, c’est précisément ce principe de « tradition orale » qui contribue à faire de la musique populaire ce qu’elle est. Si la mémorisation des structures est un impératif, ces structures doivent être courtes et facilement identifiables. Ainsi, elles se résument souvent à une mélodie simple, une suite de trois ou quatre accords et dans bien des cas, elle fait appel à un principe de « variation » et d’improvisation.

Par conséquent, la stylistique et les conventions musicales qui animent le « genre populaire » s’établissent en partie sur d’autres principes que ceux de la musique dite “classique” (ou savante). À titre d’exemple, le flamenco traditionnel est art populaire où la notion « d’écriture » de la musique n’a pas lieu d’être (il n’en est pas moins riche et subtil pour autant.)

En revanche, on n’imagine pas toujours à quel point le système d’écriture musicale a révolutionné la musique. C’est le socle de toute la musique classique occidentale.

L’écriture permet non seulement de transmettre la musique (de façon exacte) dans le temps et l’espace mais surtout, elle permet de développer un propos musical sur un temps long, voir très long et plus encore —> elle permet de concevoir des polyphonies complexes et richement élaborées (inconcevables sans l’écriture). Le système de notation de la musique invite à approfondir les principes de l’harmonie (et à créer des règles pour mieux les subvertir.

Par ailleurs, le système de notation de la musique permet à une seule personne de concevoir une œuvre pour un ensemble d’instruments (et de voix), c’est alors ce « compositeur » qui décidera des notes que chaque musicien aura à exécuter. De là, le principe d’improvisation n’a plus lieu d’être mais, ceci n’est pas tout à fait exacte car le principe du « continuo » et l’art de l’ornementation dans la période baroque offrait à l’interprète une grande flexibilité de jeu et de créativité (les choses ont changé par la suite.)(ça n’est là qu’une supposition personnelle mais… peut-être que la notation en tablature, largement répandue à la Renaissance, aura joué un rôle dans cette liberté offerte à l’interprète. le rapport à la composition pour quelqu’un qui n’écrit pas les notes, implique une connaissance « pratique » des intervalles, des accords etc. ce rapport à la musique rejoint la pratique du jazz, qui fait confiance à l’interprète.)

Les musiques de Bach, Mozart, Beethoven… n’auraient jamais vu le jour sans ce système de notation de la musique.

La tablature a longtemps été de mise (pour les cordes mais aussi pour les claviers)(les premières tablatures connues datent du Moyen Âge). La tablature montre où placer les doigts plutôt que d’indiquer les notes de musique. Il faut savoir que sur la guitare, une « même note » peut être jouée à différents emplacements ; par conséquent, l’interprète dispose d’un « choix » de positions et de « doigté ». Par cette subtilité, même si les notes sont identiques, le choix de doigté aura un impact sur la qualité du phrasé. Ainsi, à la différence de la notation solfégique, la tablature fixera avec précision l’élaboration du geste et, par conséquent, décidera de la coloration et du rendu sonore (et technique) de la phrase musicale à développer.

En revanche, la tablature ne fait qu’aligner des lignes et des numéros de cases (parfois même, sans le rythme !) alors que le système de notation solfégique permet de percevoir la musique en un seul coup d’oeil ! Elle en dessine les reliefs, rythmiques et harmoniques. Pour qui s’y est un peu exercé, tout est lisible immédiatement ! Elle ne fait pas qu’informer sur les notes et les rythmes à jouer mais elle nous permet de voir une architecture et d’entrer plus au fond du propos musical. Une merveille !!

En soi, la notation solfégique est si simple qu’il ne faut pas plus de 2 minutes pour en expliquer les principes (hauteur et durée des notes). Pourquoi s’en priver ??! (Évidement, comprendre ne suffit pas, le reste n’est qu’une question d’entrainement et de petites astuces pour identifier rapidement des ensembles de notes.)

J’insiste ——> la chose est souvent moins le problème que la façon de l’aborder.

Revenons sur des notions pédagogiques :

Il faut tenir compte des raisons et des objectifs qui mènent chacun à la pratique instrumentale. Bien entendu, une majorité d’enfants ou d’adultes ne viennent pas avec l’idée de faire carrière mais avec le désir simple et joyeux d’être en capacité de jouer d’un instrument et d’aborder son répertoire. Par conséquent, le dosage doit être fait de façon raisonnable entre ce qui est strictement nécessaire et ce qui l’est moins afin de ne pas encombrer (et plutôt d’optimiser) le temps que chacun consacre à son projet musical.

Notons aussi que l’apprentissage de la musique englobe en réalité un ensemble de compétences qui s’entrecroisent et se servent mutuellement, à savoir, chacun devrait être en capacité de : savoir écouter, chanter, jouer, improviser, composer, déchiffrer une partition, disposer de notions de théorie musicale et d’un minimum de culture générale, tant sur la connaisse et l’écoute active d’oeuvres classiques que sur des repères historiques permettant la compréhension de la « raison d’être » des choses.

Ajoutons à cela l’expérience de la pratique collective (la musique d’ensemble). Et nous n’avons pas encore commencé si nous ne citons pas l’objet de notre attention : l’appréhension de l’instrument et sa technique.

Pour ma part, je propose un « solfège appliqué » : dès le début de l’apprentissage, nous donnons à cette discipline un sens concret. Nous apprenons, pas à pas, à reconnaître les notes sur une portée en même temps que nous apprenons à les jouer sur l’instrument. Tout ceci, sur la base de petits morceaux à déchiffrer. (les résultats sont immédiats.)

L’instrument est au coeur de l’apprentissage et le solfège s’y greffe sans en être dissocié.

Bien entendu, ça n’est pas en 30 minutes (ou même une heure) de cours par semaine que l’on forme des experts en lecture mais les bases sont posées et les élèves sont autonomes. Rappelons au passage qu’un cours sert essentiellement à rectifier ou parfaire une notion ou un geste musicale et à mettre en place un plan de travail pour la semaine de façon à ce que l’élève ait des objectifs d’entrainement à tenir. Le résultat dépend en grande partie de la régularité de l’entrainement et de l’engagement de l’élève dans son projet musical.

Pour conclure,

Dans une société régressive où le moindre effort est perçu comme un mal, il est difficile de former des gens convenablement et d’annoncer la couleur sans risquer de les faire fuir…

Pourtant, chacun le concevra volontiers, j’en suis sûr, l’effort est nécessaire à tout apprentissage, c’est lui qui permet le « dépassement de soi » et nous apporte la gratification nécessaire à la motivation.

Savoir lire n’a jamais été un handicap mais plutôt une compétence !

À l’enseignant de rendre les choses agréables et de trouver les leviers de motivation afin que chacun s’épanouisse et trouve plaisir dans son projet.

Témoignage personnel.

Avant d’entrer au conservatoire et d’y faire mes classes, j’ai commencé la musique par des cours particuliers « sans solfège ». Ce dégrèvement temporairement “libératoire” ne m’a jamais rendu service, bien au contraire !

Lien France-musique sur le sujet :

https://www.radiofrance.fr/…/solfege-en-france-pourquoi…